Nombreux sont les parents qui se plaignent du manque d’autonomie de leurs bambins. Mais à trop vouloir faire les choses à la place des enfants en croyant les aider, on les entrave dès le plus jeune âge dans leur capacité à affronter la vie. Claude Halmos, psychanalyste et récent auteur de Grandir paru chez Fayard, nous explique en quoi l’autonomie est la clef de leur intelligence, de leur réussite, de leur bien-être… Et du nôtre par la même occasion ! Côté Mômes : Dans votre dernier ouvrage, vous abordez très largement la question de l’autonomie. En quoi cette acquisition est-elle si essentielle ?
Claude Halmos : Elle est essentielle à bien des égards. Un enfant autonome se sent un être à part entière. Et un être à part entière est un être en mesure de comprendre que l’on ne doit pas faire à l’autre ce que l’on n’aimerait pas qu’il nous fasse.
L’autonomie est une condition sine qua non .pour que les enfants aient accès à la loi, c’est-à-dire puissent intégrer des règles de vie et accepter les frustrations qui accompagnent chaque étape de leur développement.
Bébé autonome: les grandes étapes
CM : Quelles sont justement les grandes étapes de l’acquisition de l’autonomie ?
CH : La question ne se pose pas vraiment comme cela. Pour résumer, l’autonomie pour un enfant, c’est se gérer tout seul pour toutes les tâches du quotidien. Se laver, s’habiller, aller aux toilettes et s’essuyer, manger, se coucher. A 3 ans, tout cela doit être acquis. Et les enfants en sont capables.
Françoise Dolto disait qu’un enfant qui n’est pas capable de cela, il ne faudrait pas l’inscrire en maternelle. Ca veut dire qu’il faut, quand on sent que c’est techniquement possible, montrer à son enfant comment on met un pull, comment on le retire, comment on fait un lacet ou comment on tient des couverts.
Ensuite, il ne s’agit pas de l’abandonner à lui-même : on l’assiste et surtout on l’accompagne en lui disant bien que rater, c’est normal. Il dépensera beaucoup d’énergie pour y arriver, sera frustré de tant de difficultés mais il est important qu’il aille jusqu’au bout et que ses parents l’encouragent et lui disent que pour eux aussi, tout cela a été ardu ! Et puis il faut lui dire le sens de l’effort. S’il se met en colère, il faut lui dire: »Non, tu ne jettes pas le pull parce que tu n’y arrives pas, tu le ramasses et tu réessaies. »CM : Pourquoi les parents d’aujourd’hui ont-ils tendance à faire les choses à la place de leur enfant ?
CH : Parce que l’enfant n’est pas considéré comme une personne mais comme un objet. L’enfant est de plus en plus fétichisé. Ce qu’il faut bien mesurer, c’est qu’à chaque castration de l’enfant correspond une castration de la mère. L’enfant qui grandit se prive du corps à corps avec maman (quand elle le sortait du bain, qu’elle l’essuyait). Pour sa mère, c’est une privation aussi.
Il faut savoir – et on ne le dit pas assez aux parents – que voir son enfant grandir, c’est accepter une série des séparations puisque l’amour parental a cela de particulier que l’on aime quelqu’un pour qu’il se détache de nous et nous quitte un jour. Ce n’est pas facile à supporter !
Donc, les mères, consciemment, veulent des enfants autonomes mais inconsciemment, ne le veulent pas vraiment. En même temps, je sais de par mon expérience de psychanalyste en cabinet que si on leur explique l’enjeu pour l’enfant, toutes les mères qui aiment leur enfant vont faire ce qu’il faut pour qu’il devienne autonome.
Un enfant autonome est un enfant épanoui
CM : Vous dites que l’autonomie mène à la réussite de l’enfant…
CH : Je dis que c’est en s’habillant seul le matin et qui plus est à un rythme qui fasse que l’on soit prêt à l’heure pour aller à l’école que l’on apprend d’une part à s’organiser et que, d’autre part, on acquiert une confiance en soi. Sens de l’organisation et confiance en soi sont les deux choses importantes quand on passe des examens.
Il est essentiel que les enfants, dès leur plus jeune âge, puissent prendre conscience de leurs possibilités. Les enfants qui n’arrivent pas à concentrer leur attention, à faire un effort et à aller au bout d’un exercice sont ceux auxquels on n’a pas appris l’autonomie. Et beaucoup d’enfants intelligents ont des difficultés d’apprentissage pour cette raison.
Aussi bizarre que cela puisse paraître, l’entrée dans les grandes écoles se prépare dès les premières années de vie. En revanche, faire faire du chinois à un nourrisson ne sert à rien !CM : Une autonomie loupée, ça ne se récupère jamais ?
CH : Ce qui est passé est passé mais rien n’est irréversible. On n’est pas non plus condamné à échouer parce que nos parents ne nous on pas laissés prendre nos marques.
Les parents qui s’aperçoivent qu’ils ont fait fausse route peuvent dire à leur enfant : « voilà, quand tu étais petit, je faisais tout à ta place. Maintenant, tu me demandes à quelle heure tu dois faire ceci, à quelle heure tu dois faire cela. Moi, je te dis tu es capable de t’organiser toi-même. Trouve l’organisation, on en reparle si tu veux après mais vas-y, pense par toi-même. J’ai cru t’aider en répondant quand tu me demandais combien faisaient 2 plus 2 mais maintenant je me rends compte que ça ne t’a pas aidé. »
Les enfants sont capables d’entendre un tel discours et si le comportement des parents suit, tout est rattrapable. CM : On a parlé d’autonomie motrice dont découle l’autonomie intellectuelle. Qu’en est-il des autres formes d’autonomie ?
CH : L’autonomie de pensée est importante aussi : une chose est d’imposer à l’enfant de respecter les règles, autre chose est d’accepter qu’il puisse les discuter. On est obligé de s’arrêter au feu rouge mais on peut avoir des discussions sur l’utilité des feux rouges. Quant à l’autonomie affective, elle est liée à l’interdit de l’inceste posé par les parents.
En gros, l’enfant doit comprendre qu’il ne doit rien à ses parents en termes affectifs. L’autonomie, c’est ne pas avoir de dette affective : l’enfant a le droit (et même le devoir) d’avoir des copines et des copains à l’extérieur et puis aussi des petites copines et des petits copains… c’est-à-dire une vie privée. La vie privée, c’est là où les autres sont privés d’aller voir. Et les parents, sauf s’il y a danger bien sûr, n’ont pas à s’immiscer dans les histoires d’amitié des enfants.
A lire : Grandir, les étapes de la construction de l’enfant, le rôle des parents par Claude Halmos – Editions Fayard, 340 pages, 20,90 €