La naissance d’un enfant, un moment magique…ou pas. Parfois, engluée dans des situations intrafamiliales difficiles (mère seule, démunie, avec un lourd passé…) ou une dépression maternelle sévère, la rencontre affective avec l’enfant ne se fait pas. Que se passe-t-il alors pour bébé ?On a longtemps considéré le nourrisson comme un simple tube digestif… Mais depuis un demi siècle, de nombreux travaux sur la psychologie infantile ont prouvé que le bébé n’avait pas que des besoins « vitaux », et que l’affection de son entourage lui était nécessaire. Les carences affectives sont très dommageables au développement de bébé.
Ainsi, dans les années 50, John Bowlby, pédiatre et psychanalyste anglais, célèbre pour ses travaux sur l’attachement, a montré que nourrir son enfant, le changer ou le soigner n’était pas suffisant si ces actions n’étaient pas accompagnées d’une certaine charge affective. Il a ensuite soutenu (contrairement à Freud) que le besoin d’amour primait sur les besoins vitaux, ou même sur la présence ou non de la véritable mère biologique…
Panne d’instinct maternel: le risque de carence affective
Michel Lemay, pédopsychiatre et directeur de la Clinique de l’autisme et des troubles envahissants du développement au CHU mère-enfant (Hôpital Sainte-Justine) à Montréal, explique dans J’ai mal à ma mère, paru en 1979 (livre référence des éducateurs spécialisés), qu’il y a risque de carence affective quand un enfant de moins de trois ans n’a pas noué de lien d’attachement suffisamment solide, structurant, et que cette fragilité n’a pas été réparée, soit par les parents, soit par une famille de substitution.
Cette carence peut survenir dans trois situations : lorsque l’enfant reçoit de sa mère des soins nettement insuffisants (instinct maternel en panne), sans que d’autres personnes viennent compenser le manque d’interaction mère-enfant ; lorsque les rapports entre le bébé et la maman sont discontinus, distordus ou insuffisants, sans forcément qu’il y ait de séparation physique (on parle alors de « carence larvée ») ; et lorsque le bébé subit des ruptures répétées des liens avec les figures maternelles, ou qu’il est placé dans une institution où il reçoit des soins maternels insuffisants.
Maman et bébé: l’importance des câlins
Le Dr Carlier, psychiatre, répond : « L’affection est indispensable à l’humain. On meurt sans câlin, pas forcément physiquement, mais notre esprit meurt. L’enfant qui naît a besoin d’une permanence affective, pas tant en quantité qu’en qualité ». S’il y a manque, ou séparation, le tout-petit passe par plusieurs phases, écrit le pédiatre Carole Néguin-Rambeau, de l’Institut Mère-Enfant de Rennes : protestation, désespoir et finalement détachement.
Le bébé peut présenter des troubles du sommeil, de l’alimentation et de l’éveil. Plus grand, ce pourra être de l’énurésie, des tics, du mutisme, un attachement excessif à la mère ou au contraire un apparent détachement… mais aussi de la difficulté dans l’acquisition du langage, dans la capacité d’abstraction, dans le développement des réactions sociales, dans la maîtrise des ses impulsions. « Les effets de la séparation varient selon celle des trois phases où il se trouve, qui dépendent à leur tour de l’âge au moment de la séparation, de la durée de la séparation, de l’existence d’un substitut maternel pendant la séparation, du maintien de contacts avec les parents et de la qualité des relations parents-enfant avant la séparation », précise-t-elle.
René Spitz, psychiatre et psychanalyste américain d’origine hongroise, avait décrit dès 1945 le syndrome de « dépression anaclitique » de l’enfant et, pour les cas les plus graves, le syndrome d’« hospitalisme » : les enfants souffrant de carences affectives massives et prolongées (tels qu’on a pu les découvrir dans les orphelinats roumains après la chute de Ceaucescu, ndlr), montrent un retard du développement psychomoteur plus ou moins réversible, des troubles du comportement allant de simples troubles de l’humeur à un repliement autistique, et une fragilité physique (ils sont plus souvent que d’autres atteints d’infections banales). Un demi-siècle plus tard, en France, est-il possible de prévenir ces troubles ?
Réparer la maternité
Quand l’instinct maternel n’est pas au rendez-vous, contrairement à ce que clament les réclames, les femmes qui s’en aperçoivent n’ont pas toujours les moyens ou l’envie d’en parler, par peur d’être jugées…