QU’EST-CE QUE TU REGARDES A LA TELE, MON BEBE ?

Psychiatre et psychanalyste, responsable de l’unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière de Paris, Serge Hefez tiendra en 2011 une chronique régulière dans Côté Mômes…On reparlait récemment de l’idée d’une chaîne de télévision destinée aux enfants de 6 mois à 3 ans. Il y a deux ans,  un projet de ce type avait fait l’objet d’une pétition lancée par d’éminents confrères pédopsychiatres et psychanalystes pour s’y opposer fermement.

C’est en effet la capacité d’interagir avec son entourage et de s’approprier le monde qui l’entoure par l’acquisition progressive de la motricité, qui est fondamentale dans le développement psychologique du tout petit. Un enfant plus grand peut créer des images intérieures, des représentations, qui pallient l’absence de ses parents : maman est partie, mais elle n’a pas disparu, je peux me la figurer à l’intérieur de moi et l’attendre. A ce stade, les images dans les livres ou sur des écrans sont assimilables car elles rencontrent cette capacité à se représenter le monde.

Le tout petit s’appuie bien davantage sur son corps et sur les perceptions immédiates que son corps lui fournit. La sensation l’emporte largement sur le concept. Un enfant de cet âge, placé passivement devant un écran, face à des programmes qui vont de surcroît rassurer ses parents puisque conçus pour eux, va inévitablement s’éloigner des activités motrices, exploratoires et intersubjectives qui sont fondamentales pour son développement. L’image ne va jamais réagir à ses stimulations, lui donnant le sentiment qu’il n’a aucun pouvoir d’agir sur le monde qui l’entoure. L’idée même de cette chaîne de télé paraît aller à l’encontre de tout ce que nous savons du psychisme du bébé : elle va le transformer en spectateur quand il doit devenir acteur, le rendre passif au moment où il peaufine ses capacités à être actif. Il vaut bien mieux le laisser jouer seul avec une petite peluche et apprendre tranquillement à s’ennuyer pour développer ses capacités d’autonomie !

Un programme télé n’est pas comme un DVD ou une vidéo qui permettent de moduler la durée d’un visionnage. Il est plus que probable que des parents plus ou moins surmenés vont y avoir recours en continu, ou pire, pour permettre l’endormissement de leur enfant : quoi de plus pratique pour éviter les rappels incessants, les histoires qui se prolongent, les angoisses de la séparation ?
La catastrophe est alors à craindre : comme les jeunes oies du Pr Lorenz s’attachent irrémédiablement à leur expérimentateur, tous les bébés du monde s’accrochent aux éléments qui sont les plus présents dans son environnement. Nous assisterions alors à l’éclosion de toute une génération d’enfants développant un véritable lien d’attachement aux écrans, collés à eux et sécurisés par leur seule présence. Cet attachement risque de dépasser largement la dépendance de nos ados en devenant une vraie problématique de vie ou de mort, un gage de sécurité intérieure.

Quelle aubaine pour les professionnels de l’addiction. Voilà qui rend plus qu’urgente la suppression totale de la publicité dans les programmes jeunesse.

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