Certaines substances chimiques utilisées dans les cosmétiques seraient délétères pour notre organisme, en particulier chez les bébés. Les mises en garde scientifiques se multiplient, le ministère de la Santé prend des mesures, des décisions de police sanitaire sont prises… Une nouvelle ère dans le monde du soin ?
Un environnement chimique
Depuis les années 50, l’industrie chimique a explosé, envahissant le marché et notre quotidien. Et ce n’est pas fini, puisque l’OCDE prévoit, entre 1995 et 2020, une augmentation de 85% de la production mondiale de substances chimiques. En parallèle, une diminution de 50% du nombre et de la qualité des spermatozoïdes, le doublement des cancers des testicules et une multiplication de certaines malformations génitales masculines ont été observés dans les pays industrialisés… Nombreux sont ceux à avoir déjà dénoncé les liens entre notre environnement chimique et les modifications hormonales (conférence de Stockholm en 1972, Sommet de la Terre de Rio en 1992, plan d’action de Johannesburg, 2002). La France s’est aussi mobilisée en instituant un plan santé-environnement 2004-2008. Malgré tout, les risques liés en particulier à nos cosmétiques semblaient loin pour nous autres consommateurs européens, peu ou prou persuadés d’être assez bien protégés par notre législation.
Alerte scientifique
Il y a quatre ans, depuis la diffusion d’un documentaire d’Envoyé Spécial sur France2, les choses ont commencé à changer. De plus en plus de voix se sont fait entendre sur les substances suspectes contenues dans nos cosmétiques, parmi lesquelles celles du WWF, de Greenpeace (guide Cosmetox) ou de l’Association Santé-Environnement. Ces derniers mois, l’affaire a pris un tournant particulièrement inquiétant pour les parents : le 18 septembre dernier, le Comité pour le développement durable en santé (C2DS) a lancé une alerte vis-à-vis des célèbres mallettes de produits pour bébés (crème, laits, lingettes…) distribuées gratuitement dans les maternités. Selon les médecins et chercheurs de ce comité, dont André Cicolella, toxicologue spécialiste de l’évaluation des risques, Dominique Belpomme, cancérologue à l’Hôpital européen George Pompidou, et le professeur Charles Sultan, pédiatre et endocrinologue, « des substances qui les composent, notamment les conservateurs de synthèse comme les parabens, perturbent l’équilibre hormonal. Le Centre International de Recherche sur le Cancer à Lyon a constaté une augmentation de 1% par an des cancers de l’enfant en Europe depuis 20 ans. Un homme sur deux et une femme sur trois meurent d’un cancer aujourd’hui, cancers qui viennent probablement de la période prénatale. Les pratiques des industriels doivent changer ». Attaqués, ces derniers se sont défendus en assurant que les doses utilisées dans leurs cosmétiques étaient bien inférieures au seuil légal admis, et qu’en sus aucun effet délétère n’avait été prouvé jusqu’ici. Le 25 novembre 2008, rebelote sur Arte : dans un documentaire intitulé « Mâles en péril » réalisé par Sylvie Gilmain et Thierry de Lestrade, des scientifiques du monde entier s’alarment des effets « reprotoxiques » (toxiques pour la reproduction) de certaines substances chimiques. Leurs études sur les animaux montrent des pesticides qui transforment des grenouilles mâles en hermaphrodites, des populations de poissons qui se féminisent, des taux de testostérone d’alligators qui chutent…
Principe de précaution
Selon la réglementation en vigueur en France, nos cosmétiques ne sont pas soumis à une Autorisation de mise sur le marché (AMM) comme les médicaments. Les industriels sont simplement tenus de ne pas utiliser les substances figurant sur une liste décidée par les autorités sanitaires. « Le problème, c’est que les dossiers d’évaluation à l’origine de cette liste ne contiennent que des informations sur les composés pris individuellement. Les effets combinés ne sont pas pris en compte », explique le C2DS.
Deuxièmement, contrairement au principe qui a cours en toxicologie, ce ne serait plus la dose qui fait le poison mais la répétition et la durée d’exposition. Soit le fait d’appliquer tous les jours pendant des années certaines substances sur la peau de bébé, et ce dès la période in utero, particulièrement sensible.
« Nous manquons de recul, mais est-ce une raison pour ne rien faire ? Les données parcellaires dont nous disposons sont suffisantes pour appliquer le principe de précaution », insiste le Comité, « d’autant que la voie cutanée est celle qui permet la plus grande pénétration donc contamination ». Le C2DS dénonce le fait que les industriels ne donnent pas accès à leur formule complète, sous couvert de secret de fabrication, qu’ils n’aient aucune obligation de faire des tests de toxicité chronique ni de perturbation hormonale sur une longue période d’exposition (sauf cas particuliers), et qu’ils n’aient pas non plus obligation de considérer de façon spécifique les risques pour les enfants.
La polémique devient un problème de santé publique
L’appel des scientifiques a été entendu en haut lieu. Le 25 novembre dernier, dans un colloque intitulé « Environnement chimique, reproduction et développement de l’enfant », Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, et Nathalie Kosciusko-Morizet, ex-secrétaire d’Etat à l’Ecologie, ont annoncé une série de mesures au nom du principe de précaution : demande d’une expertise collective de l’INSERM sur la mutagénèse et la reprotoxicité des produits classés CMR3 (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques de catégorie 3, c’est-à-dire sans effet prouvé chez l’homme et l’animal mais pour lesquels une suspicion d’effet CMR existe) ; saisine de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) pour faire réévaluer les risques des cosmétiques pendant la grossesse et chez le jeune enfant ; réalisation d’une campagne d’information par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) à destination du grand public et du personnel de santé ; insertion d’une information dans le carnet de maternité ; étude d’apposition d’un logo sur les cosmétiques avertissant les femmes enceintes et les jeunes mères des dangers de certains composés reprotoxiques ; lancement du deuxième programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens intégrant l’effet « cocktail » (soit la coexposition aux substances chimiques contenues dans l’alimentation, l’habitat, la pollution extérieure…) et le fait que ce ne soit plus la dose mais la période d’exposition qui compte ; enfin appui à la mise en œuvre du REACH (voir encadré) et du plan Echophyto 2018 (qui vise 50% de pesticides en moins en dix ans). Mais au-delà de l’effet d’annonce, que peut-on attendre de ces mesures ? Ce qui est sûr, c’est qu’elles dépendent en bonne partie de la bonne volonté des industriels (notamment pour le logo) et au développement des connaissances scientifiques : autant dire que tout cela va prendre des années !
L’engagement des uns et des autres
Pour Olivier Toma, président du C2DS et directeur de l’éco-clinique Champeau de Béziers, les annonces ministérielles sont une avancée importante. Il regrette cependant le manque d’engagement en termes de dates, et l’absence de mode d’emploi en attendant les résultats des évaluations pour les moins de trois ans. D’autant plus que selon lui, la France manque cruellement de contrôleurs… « Nous avons donc mis au point un recueil de bonnes pratiques et d’information sur la multi-exposition et les interactions entre produits, qu’il s’agisse de cosmétiques mais aussi peintures, de jouets, de plastiques, de nourriture. Il sera distribué dès mars 2009 dans les maternités de notre réseau et toutes celles qui en font la demande. Nous tenons aussi des colloques auprès des fédérations hospitalières, en Europe et aux USA », indique-t-il. De son côté, l’Académie de Médecine a publié le 9 décembre 2008 une mise au point sur les risques des cosmétiques pour bébé. Selon elle, « l’analyse des effets toxiques à long terme est difficile », et « le principe de précaution ne saurait justifier une attitude systématiquement alarmiste ». Elle recommande toutefois aux industriels de limiter le plus possible le nombre d’ingrédients entrant dans la composition des produits pour les jeunes enfants ; de privilégier les ingrédients les plus anciennement connus pour leur absence de toxicité à court, moyen et si possible long terme ; de n’admettre dans la composition des produits cosmétiques pour bébé que des substances dont l’absence de toxicité à été démontrée en tenant compte non seulement de tous les composants du produit mais aussi de leurs interactions éventuelles ; de renforcer la « cosmétovigilance » en obtenant des agences et organismes de protection de la santé qu’ils établissent des normes de sécurité les plus rigoureuses possibles et de veiller à ce que tous les composants soient clairement mentionnés sur l’emballage. En bref, l’Académie veut calmer le jeu tout en assurant ses arrières… Quant à l’Afssaps, elle a bien lancé des contrôles spécifiques en partenariat avec la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Et là, surprise : fin décembre 2008, les premiers épinglés sont Cattier, une marque bio, pour leur gel moussant bébé ! Les dirigeants de la firme parlent d’un problème administratif, il n’en reste pas moins qu’on n’attendait pas l’Afssaps ici… L’Agence doit fournir, fin mars 2009, un premier rapport d’évaluation de la sécurité des produits cosmétiques destinés aux moins de 3 ans, suivi d’un rapport sur les cosmétiques dédiés à la femme enceinte l’été prochain. Affaire à suivre.
Tout beau, tout bio ?
Au Danemark, les femmes enceintes reçoivent déjà une liste de conseils pratiques afin d’éviter au maximum leur exposition et celle de leur enfant aux produits chimiques. On leur recommande ainsi d’utiliser le moins possible de cosmétiques, de cesser le parfum, d’acheter de préférence des produits écologiques, de ne pas colorer leurs cheveux, de bannir les peintures et les produits en spray, de laver tous les objets destinés au bébé (nouveaux vêtements, jouets, biberons…), d’éviter l’usage quotidien de lotions et savons pour bébé, de ne lui acheter que des produits sans parfum et des jouets conçus pour son âge (les produits pour les moins de trois ans sont garantis sans phtalates dans toute l’Union européenne). Un exemple à suivre pour l’avenir de l’espèce humaine ? Le futur le dira. En attendant, il paraît sage de changer un peu ses habitudes, en commençant par bien lire les (minuscules) étiquettes des produits cosmétiques que l’on utilise tous les jours sur nos bébés. Nathalie Kosciusko-Morizet, interviewée par Libération, affirmait pour sa part : « les cosmétiques pour enfant ne sont pas nécessaires, et pour les femmes, je recommande l’utilisation de produits bio, sans phtalates ni parabens ». Vous savez ce qu’ils en pensent, maintenant, à vous de choisir…