Allaiter ou ne pas allaiter… Telle est la question qui déchaine les passions parmi les mères. A tel point que les jeunes mamans qui sont à leur tour face au dilemme de la tétée ou du biberon ne savent plus à quel sein se vouer – sans mauvais jeu de mots. Véronique Boulinguez-Jouan, sage femme et consultante en lactation, s’est penchée sur la question en répondant dans son ouvrage « Allaiter, Pourquoi ? Comment » à quelques questions qu’elle entend tous les jours de la bouche des mamans. Interview.
Côté Mômes : Comment faites-vous la part des choses entre votre opinion sur l’allaitement et les conseils que vous prodiguez aux jeunes mères ?
Véronique Boulinguez-Jouan : Je ne suis vraiment pas dans le « forcing » de l’allaitement. En préparant ce livre, j’ai eu tellement d’informations sur le lait maternel que je suis plus que convaincue : on arrivera jamais à imiter le lait maternel, il est vraiment extraordinaire ! Mais ce que je rappelle toujours aux mamans, c’est qu’en choisissant l’allaitement, elles vont donner beaucoup plus que leur lait : c’est aussi une disponibilité, des sensations particulières… Toutes ne sont pas prêtes ou ne désirent pas ce corps à corps. Il faut reconnaître que l’allaitement n’est pas adapté à toutes les mamans.
Donc en pratique, tout cela doit rester une suggestion : on doit proposer, sans jamais pousser le choix des jeunes mamans. C’est le plus difficile. Il y a aussi des phénomènes de mode. Pendant un moment, il fallait absolument que le père coupe le cordon ombilical, qu’il assiste nécessairement à la naissance du bébé… Aujourd’hui, je pense qu’on fait plutôt du sur-mesure. Et heureusement, parce que chaque mère a des inquiétudes et une histoire différente, et que chaque naissance et unique. Dès qu’on est dans les recettes toutes faites, ça ne peut pas coller.
C.M. : Pensez-vous qu’il y ait une pression qui s’exerce sur les jeunes mamans pour faire ce choix ?
V.B-J. : Fatalement, il y a une pression, qui vient souvent de la famille. Mais quand une jeune maman allaite sans que ce soit un véritable désir, on le remarque tout de suite. Dans ces cas là, on essaye de voir si elle y trouve un peu de plaisir, au bout de quelques fois, et si ce n’est pas le cas, on l’aide à verbaliser le fait qu’elle ne souhaite pas allaiter. Dans ce genre de situation, c’est une aide précieuse que de pouvoir faire appel aux psychologues. C’est très important de ne pas faire les choses à contre-coeur.
C.M. : Certaines femmes vivent-elles cette absence d’intérêt pour l’allaitement comme un échec ?
V.B-J. : Absolument. D’ailleurs, on remarque surtout que c’est à l’instant T que les choses se jouent, il ne faut pas trop se projeter à l’avance. Je me rappelle d’un jour où j’ai entendu deux jeunes mamans discuter, l’une s’était préparée à l’allaitement à cent pourcent : elle était venue aux réunions de préparation, elle avait acheté son soutien gorge d’allaitement, son sac d’allaitement… et le moment venu, elle disait qu’elle n’imaginait pas du tout l’allaitement comme cela, et qu’elle ne supportait pas cela. Tandis que l’autre n’avait même pas décidé de la manière dont elle allait nourrir son bébé, ça lui était tombé dessus et elle avait adoré. Notre rôle, c’est de savoir jusqu’où aider la mère à persévérer pour accéder à cette notion de plaisir qu’on peut trouver dans l’allaitement, tout en étant à l’écoute de son ressenti.
C.M. : Allaiter aujourd’hui : est-ce bien compatible avec la vie hyperactive de certaines femmes ?
V.B-J. : Je pense qu’il est possible de concilier les deux. Le moment de la maternité est unique dans la vie d’une femme, et on ne peut pas garder la même vie qu’avant d’être mère de toutes façons. Il faut ajuster… et pas que pour l’allaitement. Au moment de la reprise du travail, cela peut effectivement devenir compliqué. Certaines femmes y parviennent, mais c’est vrai que le monde du travail n’est pas toujours adapté. Je reconnais aussi que le travail devient quelque chose de fragile pour certaines femmes, et que prendre un congé maternité prolongé pour allaiter est un luxe que toutes ne peuvent pas se permettre.
C.M. : Incitez-vous les mères qui hésitent à essayer, quand elles ne sont pas encore sûres de leur choix ?
V.B-J. : Oui. Je pense que c’est une expérience à tenter, même si c’est pour ne faire qu’une seule tétée et arrêter après. D’abord pour les anticorps qu’offre le lait maternel dès les premières heures de la vie, et puis pour la maman, c’est une expérience qui peut parfois donner envie de continuer, ou confirmer son refus d’allaiter. A l’inverse, si l’on commence par le biberon, on ne peut pas revenir à l’allaitement. C’est pour cela que dans la plupart des maternités, on propose aux mères d’essayer : on sait que cela peut parfois être une révélation.
C.M. : Dans votre livre, vous décortiquez les questions que vous entendez le plus souvent de la bouche des jeunes mères. Pour certaines, on a le sentiment de les avoir entendues des dizaines de fois ! Pensez-vous que les femmes ne sont pas suffisamment informées au sujet de l’allaitement ?
V.B-J. : Je pense effectivement que les femmes ne sont pas bien informées : en effet, ce sont toujours les mêmes questions qui reviennent ! Et quand elles ont toutes les réponses à leurs questions, elles sont apaisées et donc beaucoup plus fortes. Fortes pour prendre leurs propres décisions, fortes aussi pour savoir jauger ce qu’elles doivent écouter ou non parmi les conseils parfois contradictoires qu’elles entendent à la maternité. Elles savent mieux ce qu’elles veulent et comment l’adapter à leur situation.
C.M. : Les jeunes mamans ont l’air demandeuses de réponses très « carrées » à des questions qui relèvent plutôt du cas-par-cas. Pensez-vous que c’est une manière pour elles de se rassurer ?
V.B-J. : Certainement. Elles sont demandeuses de temps, on leur donne des réponses qui ne correspondent pas forcément à leur fonctionnement à elles… C’est assez troublant. Je remarque que si les jeunes mamans sont inquiètes, c’est aussi parce dans la famille ou le cercle familial, on se transmet en général des histoires douloureuses : les crevasses, les moments difficiles des premières semaines, la péridurale qui n’a pas fonctionné… Mais tous les moments de plaisir, le peau à peau, l’allaitement s’il est choisi, ce sont des choses secrètes, on préfère souvent les garder pour soi. En plus, pour l’allaitement, il y a une question générationnelle : la génération que nous accueillons en ce moment a été élevée par des mères qui n’allaitaient presque pas. Résultat : quand elles arrivent à la maternité, elles ont une idée assez dure ce qui les attend, et beaucoup d’angoisses qu’on doit dissiper.
C.M. : Pensez-vous qu’il y ait de mauvaises raisons de choisir l’allaitement ?
V.B-J. : Il faut que ce soit une décision un minimum égoïste ! Alors oui, si on allaite uniquement pour faire plaisir à son entourage, c’est une mauvaise raison. Surtout, dans ces conditions l’allaitement sera une corvée et c’est vraiment à éviter. A partir du moment où on allaite pour satisfaire quelqu’un d’autre, il faut se questionner.
C.M. : Quels conseils donneriez-vous à une future maman qui n’arrive pas à faire un choix entre le sein et le biberon ?
V.B-J. : Je lui conseillerai avant tout de ne pas trop se prendre la tête. A partir du moment où elle est renseignée, elle aura toutes les clés en main pour faire un choix le moment venu. Je lui conseillerais aussi de rencontrer une maman qui allaite, pour qu’elle puisse se rendre compte de ce que c’est en pratique. Beaucoup de femmes n’ont jamais vu un nouveau né ou une femme qui allaite ! Je lui conseillerai enfin d’attendre la rencontre avec son bébé : c’est souvent le bébé qui fait le reste !
C.M. : Quelques petits conseils pour bien réussir son allaitement ?
V.B-J. : Il faut avant tout être bien renseignée. Dans les maternités, on rencontre toujours des personnes de bons ou de moins bons conseils. Il faut donc également bien choisir sa maternité : certaines sont plus avancées que d’autres dans l’accompagnement de l’allaitement, et vont avoir des pratiques plus adaptées au choix d’allaiter. Une future maman peut également prendre son bâton de pèlerin pendant sa grossesse et voir ce qui se passe dans son quartier qui va pouvoir l’aider : associations, sages femmes qui pourront se rendre à son domicile, consultantes en lactation… Ce sont des aides précieuses, et les trouver, ça se prépare.
« Allaiter, Pourquoi ? Comment ? » Véronique Boulinguez-Jouan, Editions du Cavalier Blanc, 18 euros