Pour y voir plus clair, nous avons sollicité l’expertise du Dr François Vié le Sage, pédiatre à Aix-lesBains et responsable du groupe « Infectiologie et vaccinologie » de l’Association Française de Pédiatrie Ambulatoire (AFPA).
Pourquoi est-il important de faire vacciner son enfant ?
La vaccination est une des plus belles découvertes de la médecine depuis le XVIIIe siècle. L’OMS dit qu’en impact sur la santé de la population mondiale elle vient au deuxième rang après l’accès à l’eau potable, bien loin devant les antibiotiques. Nous sommes dans une période dans laquelle la vaccination a permis la régression de grosses épidémies de maladies. On voit d’ailleurs que dès que la couverture vaccinale diminue, les maladies réapparaissent. C’est le cas de la coqueluche, de la rougeole ou encore des méningites et du cancer du col de l’utérus causé par le papilloma virus. Les maladies existent et peuvent réapparaître dès que la protection est diminuée. Ce n’est pas parce qu’on a des conditions de vie correctes qu’il faut espérer qu’on ne sera pas malade.
Une évaluation a été faite en 2009 aux États-Unis, sur l’impact de la vaccination sur la santé, auprès de la cohorte des enfants nés en 2009 aux États-Unis : globalement le programme de vaccination de routine a permis d’éviter 42 000 décès, 20 millions de cas de maladies et 13,5 milliards de dollars en coût direct des maladies et 68,8 milliards en coût sociétal, c’est-àdire les arrêts de travail, etc… Les données sont claires et nettes. Mais effectivement dans les pays occidentaux, il y a une désaffection vis-à-vis des vaccins, alors qu’on a jamais été aussi scrupuleux sur l’efficacité et la transparence ainsi que sur la pharmacovigilance.
Doit-on faire une différence entre les vaccins obligatoires et les vaccins recommandés ?
Non. Les vaccins obligatoires le sont à cause de lois édictées à la sortie de la deuxième Guerre Mondiale, car il y avait alors des épidémies de diphtérie, de poliomyélite et de tétanos. Ce n’est plus du tout le cas à l’heure actuelle. Ces vaccins restent cependant indispensables, car si on arrête, ces maladies vont réapparaitre. On le voit avec la poliomyélite en Afrique et la diphtérie en Europe de l’Est. Mais le fait qu’ils soient obligatoires alors que les autres sont uniquement recommandés créé une hiérarchie qui est totalement artificielle puisque pour nous, médecins, les vaccins recommandés sont au même niveau que les vaccins obligatoires.
Cette distinction n’a plus lieu d’être, soit on rend tout obligatoire, soit on recommande tous les vaccins. Tout en sachant que « recommander » doit avoir un certain poids légal et être considéré comme la recommandation de ce qui est bien pour être fait à tous les enfants.
Si tous les vaccins sont recommandés au lieu d’être obligatoires, ne doit-on pas craindre une plus grande désaffection de la part des gens ?
Si, c’est le risque et donc cela doit forcément s’accompagner de campagnes d’information et de mobilisations importantes. Il faut peut-être aussi augmenter le caractère légalement opposable de ce qui est recommandé. Actuellement à l’arrivée en crèche, seul le vaccin DTpolio est obligatoire pour l’inscription, donc certains ne font pas les autres. Or, dans la vie en collectivité au niveau de la petite enfance, ce n’est pas le tétanos (non transmissible) ou la poliomyélite (absente de France depuis 30 ans) qui sont à craindre, mais la coqueluche, la rougeole, les méningites…, maladies qui ont des vaccins qui ne sont pas obligatoires, mais recommandés. On se retrouve dans un paradoxe où on oblige les enfants à faire des vaccins qui finalement n’impactent pas actuellement, en France, sur la santé des autres en collectivité, alors que ceux qui pourraient impacter ne sont « que recommandés ». Donc il faut pouvoir recommander tous les vaccins, mais que pour la vie en collectivités par exemple, tous les vaccins du calendrier vaccinal soient nécessaires à l’entrée. Mais ce n’est pas un problème médical, c’est un problème sociétal.
En tant que médecins nous disons quels vaccins sont souhaitables, mais le maintien des obligations est un problème sociétal. C’est à la société de décider quels risques elle accepte de prendre, quelle tolérance elle a par rapport à la liberté des gens qui mettent en péril la liberté des autres. C’est un vieux débat : « La liberté de chacun s’arrête où commence celle des autres. » Ne pas être vacciner, par exemple contre la rougeole, met clairement les autres en danger. Nous attendons que la société décide, c’est-à-dire les politiques, et aussi l’influence des médias. Mais en tant que médecins et pédiatres, nous estimons que les vaccins du calendrier vaccinal sont tous indispensables.
Que répondez-vous aux parents inquiets des éventuels effets secondaires attribués à certains vaccins ?
Tout d’abord je les félicite parce que ça veut dire qu’ils se préoccupent de la santé de leurs enfants sans accepter à l’aveugle tout ce qu’on leur fait. C’est à mon avis une attitude tout à fait positive mais qui peut avoir des répercussions dangereuses pour leur propre enfant. Ensuite il faut discuter avec eux pour savoir quelles sont leurs inquiétudes. Je leur propose de raisonner ensemble sur ce qui est le mieux pour leurs enfants : quels sont les risques des maladies, quels sont les risques d’effets secondaires des vaccins. On peut discuter vaccin par vaccin et évaluer la balance bénéfice-risque pour chacun, mais globalement contrairement à ce qu’on entend beaucoup dans les médias notamment, on n’a jamais été aussi transparents et nous n’avons jamais aussi bien connu les éventuels effets indésirables des vaccinations.
Le risque zéro n’existe pas bien sûr, mais la balance entre risques et bénéfices est clairement très en faveur du bénéfice pour les vaccins, en particulier ceux du calendrier vaccinal. Il faut s’adapter, mais il faut que ces parents comprennent que ne pas se faire vacciner implique un certain style de vie. S’ils ne veulent aucun vaccin pour leur enfant, ils doivent accepter qu’il n’évolue pas en collectivité. Il ne peut pas mettre les autres en danger. Je ne conseille pas cette attitude, car non seulement leur enfant n’est pas protégé mais il se retrouve à part, isolé de la société, de l’école etc…
Pensez-vous que la couverture vaccinale est actuellement suffisante en France ?
La réponse est à peu près oui pour les nourrissons, par contre pour les adolescents, la couverture vaccinale est actuellement catastrophique. Non seulement la couverture vaccinale est très mauvaise pour les trois principales maladies qui concernent les adolescents c’est-à-dire hépatite B, papillomavirus et méningite à méningocoque, mais en plus elle diminue constamment depuis 3-4 ans. Pour ma part, cette baisse de la couverture vaccinale des adolescents est entraînée par la rumeur publique colportée par les médias, et elle est en train de sacrifier une génération d’adolescents. Il faut utiliser les moyens de prévention qui existe afin de les protéger de ces maladies qui, rappelons-le, font 2 500 morts par an en France depuis une dizaine d’années (uniquement hépatite B et papillomavirus). Des moyens existent pour se protéger contre ces maladies mortelles, utilisons-les.