Le DHA, acide gras polyinsaturé à longue chaîne oméga 3, présent naturellement dans le lait maternel, est aujourd’hui ajouté dans certaines préparations pour nourrisson. Une situation qui fait débat… Retour sur la question.
Alimentation des nourrissons : qu’est-ce que le DHA ?
Le DHA, acide gras polyinsaturé à longue chaîne oméga 3, est le matériau de construction du tissu cérébral humain et l’acide gras « de base » dans la matière grise. Il assure la fluidité des membranes des cellules cérébrales et est essentiel pour la transmission des signaux des nerfs au cerveau. Il est également indispensable au bon développement de la rétine.
Pendant la vie fœtale et les deux premières années de la vie, le DHA s’accumule en particulier dans les neurones et les cellules spécialisées de la rétine appelées « photorécepteurs ». L’enfant à terme naît avec environ 1g de DHA stocké sous forme de tissu adipeux, dont le cerveau exigera environ 10 mg/jour. Son alimentation et sa capacité à synthétiser lui-même le DHA doivent combler ensuite ses besoins en la matière.
Des besoins importants à satisfaire, car une carence en DHA pourrait provoquer une réduction de la taille des neurones, pouvant induire des déficits structurels et fonctionnels tels que des changements de l’humeur, des pertes de mémoire, des troubles visuels et neurologiques. On a ainsi retrouvé des taux abaissés de DHA chez des malades souffrant de schizophrénie, d’Alzheimer, de démence, d’hyperactivité, de manque d’attention, d’agressivité et de dépression.
Privilégier l’allaitement… et améliorer l’alimentation des mamans !
Le professeur Alexandre Lapillonne (service de Néonatologie et Nutrition à l’Hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris), est spécialiste du rôle des acides gras polyinsaturés (un des domaines de recherche en nutrition qui a le plus évolué au cours de ces vingt dernières années). Il assure que le lait maternel couvre de manière optimale les besoins en oméga 3 (DHA) et en oméga 6 (acide arachidonique – AA ou ARA) pendant les premiers mois de vie.
Cependant, il faut savoir que le taux de DHA est variable d’une femme à l’autre. Les femmes Inuits, qui consomment des quantités importantes de poissons riches en oméga 3, présentent des concentrations en DHA dans leur lait maternel dix fois supérieures à celles des femmes nord-américaines ou européennes, au taux proche de 0,3 %. D’où l’importance de la recommandation faite aux femmes enceintes et allaitantes d’assurer une consommation suffisante d’aliments sources d’oméga 3 : poisson, notamment gras (maquereau, saumon, hareng, sardines, thon, truite…, au moins 2 à 3 fois par semaine), mais aussi aliments végétaux (graines de lin, huile de canola, noix, etc.).
Lait infantile : faut-il l’enrichir en oméga 3 ?
Qu’en est-il pour les femmes qui n’allaitent pas ou qui ont sevré leur bébé assez tôt ? Les laits infantiles du marché (plus de 200 références en France) sont-ils systématiquement enrichis en DHA ? Et bien non, seules quelques marques proposent ce type de produits supplémentés aujourd’hui (notamment Nestlé et son lait « Bon départ » et Mead Johnson et sa gamme Enfamil).
Le professeur Frédéric Gottrand, de l’Unité de gastro-entérologie, hépatologie et nutrition à Hôpital Jeanne de Flandre (Lille), explique pourquoi : « il n’y a pas eu suffisamment d’études à ce jour (seules deux ou trois) ayant prouvé l’intérêt de la supplémentation en DHA pour des bébés nés à terme et bien portants. Pour eux, le « niveau de preuve » est encore faible. De plus, monter un dossier pour les autorités de Santé sur l’ajout un ingrédient dans un lait infantile demande beaucoup de temps et d’argent… Par contre, plusieurs études ont démontré non seulement la non toxicité de l’enrichissement mais également son intérêt pour les prématurés, notamment au niveau de la maturation de la rétine. Du coup, tous les laits pour prématurés sont aujourd’hui enrichis en DHA ».
Les performances du bébé dépendent-elles de son type d’alimentation ?
On savait déjà que les performances des bébés allaités étaient meilleurs que celles des bébés non allaités, notamment au niveau visuel : ainsi, une étude de la Retina Foundation of the Southwest à Dallas (Texas) a montré une meilleure maturation visuelle à l’âge d’1 an et demi chez les enfants qui avaient été allaités que chez ceux qui avaient été nourris au lait infantile ; et une autre étude, faite sur près de 800 enfants de Singapour âgés de 10 à 12 ans, montre que ceux qui avaient été allaités – quelle que soit la durée de l’allaitement – avait un peu moins de risques d’être myopes à cet âge (62 % contre 69 %).
Mais qu’en est-il des bébés nourris au lait infantile enrichis en DHA ? Leurs performances sont-elles comparables à celles des bébés allaités ? Pas si sûr. La Leche League rapporte qu’une étude à grande échelle menée par le Pr. Alan Lucas sur des bébés nés dans quatre hôpitaux de Leicester et Nottingham a montré que l’enrichissement du lait en DHA n’avait aucun effet sur les performances motrices et cognitives à 18 mois.
« Le chercheur, qui a comparé deux groupes de plus de 100 bébés, le premier ayant reçu jusqu’à 6 mois un lait supplémenté, le second une formule classique, n’a observé aucun effet adverse ou bénéfique de la supplémentation sur la santé, la croissance ou le développement de l’enfant », précise l’association. Des conclusions qui font réfléchir…
Lait bébé et DHA: les partisans de l’enrichissement
Mais pour le professeur Lapillonne, un nouveau-né qui consomme des laits non supplémentés est entièrement dépendant de ses capacités de synthèse endogène et de mobilisation de ses réserves. Or il estime que cette production personnelle est « probablement insuffisante pour couvrir les besoins au cours de la phase de croissance rapide de la première année ». Il justifie donc l’intérêt d’une supplémentation des laits infantiles en acides gras à longue chaîne si l’allaitement n’est pas possible. Il ajoute qu’une méta-analyse récente montre « une meilleure maturation visuelle à deux mois, appréciée par des méthodes comportementales, chez les enfants recevant un lait artificiel enrichi en DHA par rapport aux enfants nourris avec un lait non supplémenté ».
Le Pr. Gottrand est également convaincu que l’enrichissement du lait est utile, « déjà parce que le lait maternel en contient (même si ce n’est pas une raison suffisante), et surtout parce les dernières études réalisées montrent des bénéfices, légers mais réels, sur la maturation du système nerveux, le renforcement des défenses immunitaires et le risque d’allergie ». Ainsi, en septembre 2009, une étude américaine publiée dans la revue Child Developpment suggère que les enfants allaités avec du lait maternisé enrichi en DHA ont de meilleurs résultats aux tests de développement à l’âge de 9 mois…
Le professeur Lapillonne avoue qu’au niveau du développement neurologique, les résultats des laits enrichis semblent plus hétérogènes. Mais pour lui et d’autres experts, cette variabilité des résultats s’expliquerait par les différences de concentration en DHA des laits enrichis : une supplémentation trop faible serait dépourvue d’efficacité.
Taux et origine du DHA
Depuis 1996, un amendement à la Directive européenne sur les formules pour nourrissons et les formules de lait de suite a permis la mise sur le marché de laits pour nourrissons et de laits de suite enrichis, en précisant les limites à respecter, mais rien n’est indiqué sur les seuils minimum de DHA et d’ARA en dessous desquels il n’y aurait pas d’efficacité… Pour les spécialistes, un enrichissement comparable aux taux présents dans le lait maternel semblerait donc le plus indiqué.
L’enrichissement du lait pose aussi la question de l’origine du DHA ajouté : à l’heure actuelle, il est souvent issu d’huile de poisson, « mais aujourd’hui la relative rareté des poissons riches en oméga 3 et leur possible toxicité (taux de mercure trop élevé) poussent les fabricants vers d’autres sources. Certains ont ainsi misé sur le DHA extrait d’algues marines, une piste intéressante » estime le Pr. Gottrand, qui ajoute que « plus on a de sources de DHA, mieux c’est ».
Utiliser un lait enrichi après le sevrage ?
Le professeur Lapillonne soutient l’intérêt d’un lait enrichi en acides gras polyinsaturés à longue chaîne au moment du sevrage, une question d’importance quand on sait qu’en France la majorité des femmes arrêtent d’allaiter avant trois mois. Il s’appuie pour cela sur deux études, sur un sevrage réalisé à 6 semaines ou entre 4 et 6 mois, suivi d’une formule supplémentée en DHA et AA (à concentrations comparables au lait maternel) qui montrent une amélioration significativement la fonction visuelle à 1 an.
En conclusion, si les bénéfices de l’enrichissement en DHA sur le long terme sont encore à prouver, les études ont suggéré qu’un apport en DHA et AA pourrait être important pendant l’ensemble de la première année de vie. Un élément qui justifie, au passage, l’intérêt de l’allaitement maternel prolongé ! Enfin, au-delà de 2-3 ans, une alimentation équilibrée et variée mais renforcée en oméga-3 (poissons, huile de colza, huile de noix, …) offrirait un meilleur profil cardio-vasculaire à long terme.