Surdité des bébés : comment la dépister ?

Alors qu’il y a consensus sur un dépistage précoce des troubles de l’audition pour permettre le plus grand développement des capacités de communication de l’enfant, ses modalités ne font pas l’unanimité. Faut-il dépister de manière systématique à la maternité pour être rassuré sur l’ouïe de bébé ? Avec quel accompagnement des familles ? Et si l’enfant n’a pas été testé à la naissance (80% des bébés), quels signes doivent alerter les parents ?

La surdité, un handicap invisible

Un bébé sur mille naît chaque année atteint de surdité profonde, soit environ 800 par an, dont 95% n’ont pas de parents sourds. A ces enfants s’ajoutent les 700 qui deviendront sourds avant l’âge de 3 ans, suite à une maladie (méningite…) ou une apparition tardive. La surdité a ceci de particulier qu’elle est un handicap invisible : du coup, elle est détectée avec beaucoup de retard dans 80% des cas, ce qui entraîne de lourdes conséquences sur l’acquisition du langage et le développement intellectuel de l’enfant.

Surdité de bébé: un dépistage tardif

Aujourd’hui en France, et malgré la mobilisation de nombreux professionnels, l’âge moyen du diagnostic est d’1 an et demi à 2 ans. Un retard significatif par rapport à d’autres pays européens, où le dépistage est mieux organisé. Chez nous, seuls les enfants à risque (poids de naissance inférieur à 1,5 kg, antécédents familiaux de surdité, exposition in utero à la rubéole ou la toxoplasmose, prématurés) sont systématiquement testés. Sinon, dans près de 70% des cas, ce sont les parents qui alertent le médecin après avoir constaté certaines anomalies chez leur enfant.

Pour y remédier, un programme expérimental de dépistage systématique néonatal, lancé par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), a été mis en place dans une trentaine de maternités à Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Paris et Toulouse en 2005. Il était censé durer deux ans, à l’issue desquels, si les différentes données du programme étaient validées (coût, formation du personnel, matériel utilisé…), le dépistage serait généralisé à l’ensemble des maternités du territoire.

Polémique sur le dépistage ORL dès la maternité

Lors de cette expérimentation, de nombreux psychologues, dont Dominique Seban-Lefebvre, co-auteur de L’enfant qui n’entend pas (Belin, 2008), ont remis en cause le dépistage néonatal systématique. Ils lui reprochent :
1) le nombre de faux positifs (neuf fois sur dix !) entraînant un stress inutile chez les parents ;
2) le risque d’entraver la construction du lien parents/enfant dès le départ en cas de test positif ;
3) le manque de personnel pour accompagner psychologiquement les parents ;
4) le risque de passer à côté des surdités acquises après la naissance.

Quant aux orthophonistes et aux médecins ORL, même s’ils reconnaissent que le dépistage à J+2 n’est pas l’idéal pour la qualité de la relation mère-enfant, ils rappellent qu’un programme de recherche mené par le Dr Catherine Kolski, à Amiens, a montré qu’un dépistage deux mois après la sortie de la maternité entraînait au moins 35% de non présentation de l’enfant… « On peut penser que ce sont, comme toujours, les classes sociales les moins favorisées qui passeraient au travers d’un dépistage hors maternité », rapporte le Pr. Françoise Denoyelle, chef de service ORL pédiatrique à l’hôpital Trousseau à Paris.

Dépistage précoce = implantation précoce ?

Le dépistage dès la naissance semble donc la moins mauvaise des solutions pour réduire l’âge du diagnostic actuel et permettre ainsi d’équiper un enfant sourd d’un appareil auditif ou d’un implant électronique ou électroacoustique dès ses plus jeunes années, car les connexions cérébrales sont alors en pleine construction. « Dans l’idéal, la pose de l’implant cochléaire doit avoir lieu entre un et deux ans en cas de surdité profonde », explique le Pr. Denoyelle.

L’implant cochléaire : une solution non éthique à la surdité ?

Le développement de l’enfant sourd peut alors être proche de celui des entendants. Cependant, les associations de personnes sourdes rejettent souvent le dépistage précoce et son corollaire, l’implantation précoce, car elles considèrent l’implant cochléaire comme la mort de leur identité sourde et de la Langue des signes… Le Groupe Européen d’Ethique des Sciences et des Nouvelles Technologie partage leurs craintes.

Dans son avis de mars 2005 à la Commission européenne, il écrit que « les efforts déployés pour promouvoir cette technologie posent des questions éthiques quant à son impact sur le porteur de l’implant et sur la communauté des sourds (notamment ceux qui communiquent par langue des signes). Ils ignorent le problème de l’intégration sociale du porteur de l’implant dans cette communauté, et ne prêtent pas une attention suffisante aux incidences psychologiques, linguistiques et sociologiques. Avant toute chose, il promeuvent une vision particulière de la « normalité » ».

En France, le Comité consultatif national d’éthique s’est aussi penché sur la question. Dans son avis Ethique et surdité de l’enfant (décembre 2007), il rappelle qu’« il ne faut pas oublier qu’un enfant sourd appareillé n’est pas aussi bien entendant que les autres. La richesse de la langue des signes restera pour lui un élément essentiel de communication même après pose d’un implant. Implant et langue des signes non seulement ne sont pas contradictoires mais essentiels dans leur conjonction ».

Surdité des bébés: l’avenir du dépistage

En janvier 2007, la Haute autorité de santé (HAS) a rendu un avis concluant à l’efficacité probable du dépistage systématique de la surdité en termes de développement de la communication. Mais elle a aussi préconisé la pérennisation des expérimentations locales, pour mieux fonder des recommandations en termes de modalités de dépistage, de suivi et prise en charge en aval.

De son côté, fin 2007, la CNAM a rendu son rapport sur l’expérimentation du dépistage prénatal mené depuis deux ans : si son intérêt a bien été démontré (on a détecté un enfant sourd profond sur mille, ce qui correspond à la prévalence du handicap), reste qu’il coûte cher, car il faut former et embaucher du personnel. La CNAM n’est donc pas si pressée de le généraliser… En attendant, l’expérimentation continue jusqu’à fin 2009.  

Dépister la surdité de bébé: le Dr Christine Toffin, orthophoniste, co-auteur de L’enfant qui n’entend pas (Belin, 2008), rapporte ici les signes qui doivent alerter les parents :

Si le sommeil du nourrisson (0-12 mois) reste imperturbable, même quand une porte claque ou que l’aspirateur est en marche ; si le regard du bébé est intense ; si le bébé ne réagit pas quand ses parents l’appellent en lui tournant le dos ou placés à l’autre bout de la pièce ; si le babil du bébé, qui avait commencé spontanément vers 3 mois, s’appauvrit vers 6 mois, jusqu’à disparaître vers 9 mois ; si l’enfant ne réagit pas aux ordres simples sans les gestes ou mimiques qui les accompagnent ; s’il est assez colérique (car frustré de ne pas se faire comprendre) ; s’il montre un trouble de l’équilibre et marche un peu plus tard que les autres ; s’il invente de lui-même des gestes pour se faire comprendre et enfin, s’il semble tout repérer pour comprendre ce que vous voulez, n’hésitez pas à consulter. Beaucoup d’enfants atteints de surdité développent au maximum leurs autres sens, notamment la vision, pour compenser leur handicap. Résultat, ils peuvent « tromper » le pédiatre ou le généraliste qui les suit… C’est pour cela que l’intuition des parents compte beaucoup, et qu’on doit leur faire confiance, parfois envers et contre tous.

A savoir : L’INPES a publié un Guide pratique à l’usage des parents, La surdité de l’enfant, pour les aider à faire leurs choix et leur expliquer les étapes de la prise en charge de l’enfant sourd. Il est téléchargeable gratuitement sur www.inpes.sante.fr

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